Claude Schaff est le principal du Collège du Lignon. Alors, « Collège contre collège » ou complémentarité ? La réponse est exemplaire de l’esprit qui anime le Chambon sur Lignon depuis toujours !

Je n’ai aucun sectarisme, privé/public. Quand je travaillais au Puy, je n’avais pas de rapports particuliers avec mes collègues du privé. Ici c’est différent, parce que je crois à une chose : quand les gens agissent dans un certain sens, il faut qu’ils y aient un intérêt sinon les dés sont pipés quelque part. Et moi, j’ai tout à fait intérêt à travailler avec le Cévenol. Pas qu’avec le Cévenol du reste : il y a Tence, St Agrève, etc. Mais le Cévenol, c’est un peu particulier quand même.
Premièrement, notre plateau est dans une situation économique assez... j’allais dire détériorée, en tous cas dangereuse. Il n’y a pas seulement la SLAM qui a plus ou moins fermé, la politique sur les maisons d’accueil des enfants fait que les effectifs vont baisser aussi, parce qu’ils sont de plus en plus placés en familles, la situation économique globale n’est pas terrible non plus, ce qui veut dire que dans les mois et les années à venir, à mon avis, en termes d’effectif de jeunes à scolariser, on ne sera pas en augmentation. Or les collèges, les lycées sont des employeurs, donc ils participent eux mêmes en tant que créateurs d’emplois et d’apporteur de consommateurs locaux. Cet aspect me paraît assez important.
Deuxièmement le Cévenol fait partie intégrante de la vie d’ici, et face aux problèmes qu’il a eu, que les gens qui ne sont pas nécessairement « pro-cévenol » se disent : attention ! Economiquement, mais culturellement aussi, il fait partie de notre paysage. Même si on ne mets pas tous nos enfants la haut, on le défendra quand même. Cela fait partie de la culture du coin.
Ainsi, Il n’y a pas de concurrence en terme de privé/public, il y en aurait peut-être s’ils disaient « on va ouvrir une 6ème et une 5ème. Ce n’est pas envisagé. Et nous on ne prétend pas dire « nous on va être meilleur que la haut ».
Et puis chacun de ces établissements scolaires, avec leurs compétences, sont des pôles de ressources culturelles absolument extraordinaires. Vous parliez de paix, de tolérance, ... il se trouve que moi, mais c’est vraiment le hasard, je suis protestant luthérien, d’origine allemande ; or la liaison tolérance, ouverture et efficacité économique, ça c’est fort. C’est quand même assez spécifique au protestantisme, c’est à dire qu’on n’a pas peur de dire qu’on gagne de l’argent, on n’a pas peur d’avoir une activité, simplement elle est au service de la communauté. Ce sont des choses importantes, mais que ce soit aussi bien dans le public, au Cévenol, qu’ailleurs.

En ce moment Fabien (Laroque) il fait un boulot dingue, il aura mérité ses vacances, et je suis sûr, moi que j’ai tout intérêt à faire en sorte que le Cévenol aille bien, même pour moi, car on est dans un petit village, sur un petit plateau, et il y a souvent confusion entre les établissements. Les gens qui vont être pro-privé vont dire en cas de problème la faute vient du public et vice versa. Pourtant regardez : on a fait le 11novembre ensemble, et si c’est un premier point de travail commun, on va avoir un certain nombre de points forts et on va montrer à la population que l’on bosse très bien ensemble. Quand Fabien est venu nous voir avec sa prof d’anglais, durant toute une matinée, ils ont mangé avec nous à la cantine. J’ai présenté les gens du Cévenol à mes profs, ce qui n’a pas choqué. C’est une réelle opportunité, et l’on doit encore travailler, mais il faut que les gens sachent que ce n’est pas une opportunité pour casser quelque chose, je ne fais pas cela pour « récupérer » des enfants, je n’en récupérerai pas de là haut, lui, il est évident qu’il aimerait bien que certains de mes élèves aillent au Cévenol en Lycée, et moi je dirais sans problème à mes collègues de Monistrol par exemple : « si le Cévenol récupère 10 enfants par ci par là, cela ne te mets absolument pas en danger. ! » D’autant plus qu’ils sont pleins !
Et quand on parle des élèves du privé (sous entendu : ils accueillent des enfants parfois difficiles), il ne faut pas se leurrer, nous devons nous aussi, et heureusement, faire face à nos obligations publiques. Ce qui s’appelle aujourd’hui les « parcours personnalisés » est désormais entré dans le cursus public. Il y a 10ans, on le faisait de façon marginale, aujourd’hui, cela fait partie des règles de notre institution, c’est à dire que l’on nous demande de recevoir, nous aussi ces enfants un peu particuliers, notamment en difficulté d’insertion. Par exemple on a un jeune qui vient d’une banlieue parisienne. Et puis aussi des enfants handicapés. Enfin, on ne parle plus d’handicapés mais de « public à besoins éducatifs particuliers ». Les fameux IP (intellectuellement précoces, anciennement surdouées) en font d’ailleurs partie, et il est vrai que chaque type de jeune différent n’est pas facile à gérer. Aujourd’hui dans notre collège, on a 5 parcours particuliers, deux handicapés, un IP, et deux prés délinquants et qu’on a sorti de leur milieu. Pour les handicapés mentaux, j’envisage un partenariat avec Faïdoli, pour quelques uns de leurs petits trisomiques. Et là il y aura sûrement des choses importantes à faire. Ce qu’on cherche maintenant c’est d’impliquer plus les jeunes, les autres, ceux qui n’ont pas de handicap. Car l’intégration cela permet de connaître l’autre un peu mieux.

Lors de l’entretien nous lui avons évoqué l’époque de « l’internat externé ». Quand de nombreux élèves, non chambonnais vivaient seuls ou à quelques uns dans des familles du Chambon ou dans ses fameuses pensions si connues des anciens. Solution qui permettrait aujourd’hui de d’accueillir plus d’enfants, tant pour le Collège du Lignon que pour le Cévenol, sans recourir aux lourds investissements que nécessiterait la mise aux normes d’un internat. Pourquoi pas aller jusqu’a relancer une version moderne des « enfants à la montagne » du Pasteur Louis Comte.

Franchement dans mes réflexions je n’avais jamais pensé à ça, pour l’instant. La seule chose est que il est impossible de rouvrir un internat ici même, ceci étant dû à la vétusté des locaux qui ne sont plus aux normes, et cela implique des structures et du personnel, et actuellement les prospectives de l’éducation nationale ne sont pas dans cette optique. En revanche, ce que vous me dîtes, c’est à dire des familles qui reçoivent ces jeunes, et dans votre propos vous ne pensez pas seulement au bon air de la montagne, mais également à l’état d’esprit , là par contre, dans le principe je n’y voit pas que des inconvénients, et cela peut être un des éléments de réponse sur le danger de la baisse démographique du coin. Je n’y avais par réfléchi, mais je vais le faire, car c’est effectivement très intéressant.
Comme on est sur un plateau particulier, et il faut bien insister la dessus, il faut savoir une chose importante : le travail que l’on fait en commun avec Fabien Laroque est totalement soutenu par le Recteur et l’inspection d’Académie. Fabien et moi, avons en commun un terme qui nous plait bien : « la création d’un pôle de ressources local ». Ressource culturelle s’entend, on a 4 librairies au Chambon pour 3000 habitants, et une imprimerie de surcroît. Des associations il y en a partout, il y a une activité extraordinaire, et pour l’instant, on travaille un peu en parallèle, et on aimerait que tous ces gens, là, puissent travailler en commun. En gros les Collèges Cévenol, et Lignon sont les pôles ressources du plateau. On a des compétences, et si on les renforce c’est encore mieux, on a des réseaux de partenaires qui ne sont pas les mêmes, qui sont même complètement différents, on a des locaux, des disponibilités, et puis je constate tous les jours que tous les gens à qui je dis que je travaille avec le Cévenol, d’abord ils n’y croient pas (rires) mais j’ai le sentiment qu’in fine ils disent : « ouf ». Ce qui veut dire que ce n’est pas toujours simple.
Quand je suis arrivé au Puy en Velay en 89, les chefs d’établissements du public et du privé ne se rencontraient jamais. Puis il y a eu quelques inspecteurs d’académie intelligents comme Mr Debresse, par exemple, qui ont dit stop. Alors bien évidemment c’est toujours un risque au début, parce que quand on commence à travailler ensemble, on se prend les uns des autres. Il eut une période où les établissements privés offraient de choses que le public n’offrait pas. Les parcours individualisés il y a 10ans, c’était l’agriculture et le privé, point. Aujourd’hui on le fait aussi et quelques fois certains établissements qui le faisait depuis longtemps sont entrés dans une sorte de sclérose, et étant au pied du mur, se rendent compte qu’ils doivent bouger. Quand on est sur un plateau comme le notre, avec aussi peu d’habitants, aussi dispersés, on doit essayer de travailler plus ensemble et intelligemment.

Nous évoquons la célébration du 70éme anniversaire du Collège Cévenol qui peut être, au travers de cette vaste rencontre entre anciens d’ailleurs et anciens du Chambon, une occasion de relancer une énergie commune autour d’une ambition partagée. Ainsi que le thème de cette rencontre : Paix et non-violence.

Je crois que c’est dans la ligne de ce que je viens de vous dire, c’est logique. D’autres part il y a un argument qui va dans ce sens, c’est qu’il y a pas mal de ces anciens élèves récents (des 30 dernières années) qui ont souvent fait une partie chez nous, une partie au Cévenol. Ici, j’ai à l’interne des personnes qui depuis un certain temps se disent (parfois par confession) tiens c’est intéressant maintenant on peut parler du Cévenol au sein du Collège du Lignon… Il y avait un petit tabou la dessus, il y a encore peu de temps.
Aussi ma position sur le fait d’appeler les anciens, du Chambon et d’ailleurs, à venir nombreux soutenir le présent et le devenir du Collège Cévenol est claire : oui, oui, oui ! Un projet comme celui-ci, avec Fabien Laroque, je me doute qu’il va venir me dire sous peu que le collège du Lignon doit y participer ! Ce serait conforme à ce que nous faisons avec lui. C’est toute cette idée que nous préparons dans les grandes lignes : être ensemble. Car si on ne le faisait que pour le 70ème, on pourrait se dire tiens il y a une occasion, on invite tout le monde. Non on va beaucoup plus loin, on a commencé par le 11 novembre, c’est sans doute rien, mais c’est un symbole. On est en train de travailler sur 3 projets internationaux ensemble. Il est trop tôt pour en parler en détail et je ne souhaite pas en parler sans Fabien, mais nous construisons cela avec nos professeurs et nos élèves. Et pour l’un d’entre eux nous travaillions avec le collège de St Agrève, donc on sort même des frontières académiques. Tiens ceci pourrait être un mot d’ordre : SORTONS DES FRONTIERES !

Concernant le thème « Paix et non violence » oui, bien sur, et de plus c’est le fondement du Cévenol, ce qui n’est pas antinomique avec rigueur, et on vit dans une période où le respect des règles n’est pas un critère définissant ce qui se passe aujourd’hui ! Dans la société en général. Ce qui veut dire que dans un collège, ici ou ailleurs, et je parle ici du Lignon, qui reste très local, moi qui est travaillé en banlieue, je peux vous dire que ça n’a rien de commun. Ici la violence entre guillemets car il n’y a pas ou peu de violence physique, ce n’est pas une caractéristique du cru. En revanche il y a une autre violence que je constate ici très forte, sociale, je crois que c’est ici que j’ai découvert le problème de l’alcoolisme, et que c’est extrêmement acerbe. J’ai rencontré des gens ici qui transpiraient l’alcool de l’ensemble du corps. Et je vois les résultats sur les gamins. On a ici une trentaine de jeunes qui viennent du Cada et des maisons d’accueil et qui ont donc ces problèmes là. Ils sont éventuellement pas loin de passer à l’acte en violence verbale ça c’est quotidiennement, mais comme ils sont écorchés vifs ils peuvent partir dans la violence. Par contre cela ne doit absolument pas nous empêcher de maintenir une rigueur sans faille à l’intérieur, c’est à dire qu’il y a une règle, qu’elle est la même pour tous et on la respecte. Même si on peut discuter, il y a une règle. Point. Et sanction.
Enfin, si on travaille bien avec Fabien Laroque, vous savez les hasards des rencontres ne sont pas tout à fait le hasard. Il y a de la culture, de la philosophie, tout ce qu’on veut, on n’est pas d’accord sur tout, mais on sait que l’individu est au service de la communauté.

Pour finir, j’ai presque envie de devenir personnel, car on ne pense que par notre vie et notre histoire les uns et les autres, moi je suis donc et Français et Allemand, mes parents sont Allemands, et le hasard a voulu que par une enquête sur ma famille maternelle, je me suis rendu compte que je suis un descendant d’huguenots. Donc en gros 3 ou 4 siècles après je reviens un petit peu sur les « lieux du crime » (rires), aux sources, et je suis persuadé malgré ces 3 ou 4 siècles que les valeurs en question que ma mère m’a transmises, que je retrouve ici dans mes rencontres, sont universelles. Car on parle beaucoup d’accueil et de tolérance ici au Chambon sur Lignon, et les gens que j’ai rencontré ici ne sont pas nécessairement du coin et ils véhiculent pourtant au moins autant qu’autrefois ces valeurs là.
Donc ce n’est pas lié au temps, ce n’est pas lié à l’espace, c’est lié à l’histoire, et c’est pour cela que le jumelage avec Medard m’intéresse, parce que ça remet en cause le vécu de chacun, et comme je suis un grand fana de physique quantique et de relativité, qui sous entend que le monde n’est pas nécessairement ce qu’on nous montre, et je crois qu’il faut aller en profondeur voir les choses, prendre le temps, et puis sortir du sectarisme, et je pense que l’époque s’y prête. Je parle su sectarisme local, il existe d’autres sectarismes que l’on voit ailleurs et qui sont moins faciles à régler. Ici il y a une opportunité…regardez cela n’a rien à voir avec les personnes, la mairie a changé, la direction du Cévenol a changé, notre direction a changé, on est dans un moment de bouleversement politique, la crise économique, etc. qui font que les gens ont envie de revoir des choses, et de se regarder, pas que le nombril, on est dans une période ou les gens ont un mal fou à trouver des repères. Ils ne savent plus très bien où ils en sont. Faut bien reconnaître que tout ce qu’on voit est chamboulé, et donc les enfants à plus forte raison ont besoin qu’on les guide et qu’on les entoure, qu’on comprenne que tous nous n’avons pas les mêmes besoins, la même façon de les traiter, par contre les règles sont les mêmes.

Propos recueillis par Sam Debard