06Feb2009
Sanghee Tsering, photographe au Chambon sur Lignon
Ce
que je pense est que en ce qui concerne les anciens ce n’est pas la
quantité et le nombre qui est important, c’est qu’ils viennent avec leurs
valeurs morales, et qu’ils en parlent. Egalement qu’ils expliquent pour
certains comment il font pour vivre avec un minimum d’avoir. Sans télé, sans
confort, et est-ce ainsi possible de vivre heureux ? Et essayer de
traduire ce message à tous ces jeunes qui ont tout autour d’eux, je pense
qu’apporter une valeur morale par ces hommes pauvres ou riches, mais qui
parlent de leur vécu, et par des histoires très courtes apporter leurs
expériences.
Sanghee Tsering, a repris la boutique Monsieur Verron photographe, située
entre les deux pâtisseries, sur la place du Chambon. En plus des travaux photos
il propose à sa clientèle, de la mercerie, des produits tibétains. Tibétain
?
Oui 100%. Je suis venu comme réfugié. Je suis né au Tibet en 1973. A
l’âge de deux mois, mes parents, c’est à dire ma mère, a traversé
l’Himalaya et est arrivée en Inde, donc j’ai grandi en Inde, j’y aie fait mes
études. J’ai un diplôme de pédagogie, licence de lettres, mais comme il n’y a
pas d’accord entre la France et l’Inde, mes diplômes ne valent rien ici.
Il faut donc survivre. Quand on part d’un autre endroit, on est déjà un
réfugié, et dans un autre pays qu’on ne connaît pas : on ne connaît pas
la langue, on ne connaît rien…On redémarra à zéro, cela veut dire qu’on accepte
tout. La question est qu’est ce qu’on peut attraper. On ne parle plus de
cravates, de diplômes, d’étude, on laisse tout ça derrière, parce que dans la
vie quand on rentre dans un pays, il faut accepter les lois du pays, la
culture du pays, les traditions du pays, on essaie alors d’entrer la dedans,
mais bien sûr on ne peut pas digérer tout d’un coup.
Je suis arrivé en France en 1993, et je ne parlais pas un mot de français. A la
suite de cela, j’ai fais un stage de menuiserie, à Lyon, 7 mois durant (je ne
parlais toujours pas un mot de français), mais çà passait. Avec ce CAP, il
fallait encore l’expérience, les contacts, savoir écrire, conduire, et je
n’avais rien de tout çà. Alors je suis entré dans une boite qui faisait
de l’importation de produits esthétiques, et de musculation. J’y ai travaillé
dix ans comme manutentionnaire. emballeur, livreur, et j’ai travaillé avec des
intérimaires qui ne savaient même pas écrire quelque chose. Je ne me sentais
pas diminué ; comme j’ai eu l’occasion en Inde d’enseigner, j’ai connu un
certain niveau social, et il a bien fallu, une fois en France redescendre au
niveau le plus bas ; je dois dire que ce n’était pas gênant.
J’ai donc travaillé dix ans puis je suis arrivé au Chambon, où j’ai créé un
vidéo club en 2001, puis ce local qui était à vendre, je l’ai donc
acheté, et finalement comme la photo commençait à changer par rapport au
numérique, j’ai adapté mes activités, en me demandant ce qui pouvait
marcher et remplir une petite échoppe, j’ai donc choisi la mercerie,
l’artisanat tibétain, photos d’identité, encadrement. Et puis plus tard j’ai un
nouveau projet. Tout ceci pour survivre autrement.
Quel parcours ! Vous êtes parti du Tibet, tout jeune. Le Dallai Lama, prône la
non violence. Et vous ?
Parmi la jeunesse tibétaine certains voudraient l’indépendance totale du Tibet,
peut-être avec une certaine violence. Toutes les violences au niveau
famille, au niveau communal, national et même international, ne valent pas la
peine, elles se détruisent d’elles même. Donc il ne sert à rien d’avoir une
attitude de violence envers quoi ou qui que ce soit. Du reste toute violence
est condamnée à disparaître par épuisement.
C’est ce qui disait Gandhi.
Exactement. Et nous Tibétains, on continue la non violence, car envers le Dalaï
Lama, notre foi est une « blind belief », on ne pose pas de question. On ne
peut pas s’opposer au Dalaï Lama, car il a la sagesse, il a la
connaissance, le pouvoir, il est au dessus de nous. Nous on peut
étudier des années durant, on ne pourra jamais atteindre son niveau. A quoi
cela sert-il de contrarier quelqu’un qui est au plus haut niveau, ce qui veut
dire que nous Tibétains, même si les Chinois nous « englobent » nous resterons
toujours Tibétains, nous ne sommes pas le même peuple, ce sont deux peuples
différents.
Le Dallai Lama, comme tous les prix Nobel de la paix, a fait partie des
personnalités qui ont signé l’appel pour une décennie d’éducation des enfants à
la non-violence. Le Collège Cévenol est membre de sa coordination française.
Comment ressentez vous en tant qu’homme, être humain, réfugié également, la
violence actuelle dans les écoles, les villes etc. La comprenez vous,
l’expliquez vous ?
La violence que l’on voit partout à la télé, à tous les niveaux il y a une
violence, la fraude aussi est une violence. A la base, chaque personne,
bouddhiste ou non bouddhiste, Tibétain ou non, est violent. On n’est pas
conscient du mal qu’on fait à l’autre, qui créé une douleur unique qui rejoint
une douleur d’ensemble. Personnellement je ne suis pas parfait, j’ai beaucoup
de défauts. Mais j’essaie de me redresser moi même. Je m’explique : si je
conduis sur la route enneigée, et qu’il y a des gens qui marchent sur la route,
je ralentis afin que la personne puisse traverser si elle en a le désir. Mais
il y a des gens qui passent vite, sans s’écarter de sorte que toute la neige
est projetée sur la figure du passant… et cela le chauffeur de la voiture ne le
voit pas, ou il ne veut pas le voir. C’est de la négligence. Donc toutes les
violences ont commencé à l’école. Ici, à l’école, il n’y a pas de leçons
de morale. Chez nous, au moment de la naissance on dit : « les autres sont plus
important que nous ! » Les autres ont plus de valeur que nous, que moi. Cette
morale n’existe pas chez vous. Si on regarde la télé on retrouve la violence
journalière. La religion n’aide pas forcément à la non violence. En fait la
religion serait comme un savon, il permet de laver l’extérieur, faire un
shampoing, mais pour se laver à l’intérieur, un savon ne convient pas. On
a besoin de penser, imaginer, quelque chose qui contrôle l’humanité. Par
exemple quand vous avez un geste gentil, vous, vous dîtes c’est
normal. En réalité ce n’est pas tout à fait normal. Il convient de dire :
« je me mets à la place de l’autre, et si j’avais envie de faire quelque chose
de mal à quelqu’un, en me mettant à sa place immédiatement, je peux comprendre
ce qu’il ressentirait, et donc je ne le ferais pas. Pour reprendre l’exemple
précédent : aujourd’hui j’ai un 4X4 ; quand on est dans un 4X4 on est haut
perché, par rapport au passant. Puis le chauffeur du 4X4 pause sa voiture au
garage, et il marche. Et quand soudain un autre conducteur lui gicle l’eau à la
figure, il se sentira diminué et va râler et agresser verbalement l’autre.
Mais il ne se souvient pas qu’une fois lui était dans la voiture et a
giclé l’eau à la figure d’une autre personne, il a fait la même chose mais pour
lui c’était normal …
Il faut tout de suite face à l’autre se mettre dans sa position. Et vous
allez comprendre l’autre, vous allez devenir gentil, sans prendre des
médicaments.
Finalement l’une des clés de la non violence, serait de se mettre à la
place de l’autre.
Voilà, exactement à n’importe quel niveau. A l’école, au niveau des
familles…par exemple pourquoi des couples divorcent et se séparent ? Parce que
lors de leur rencontre, ils s’aiment, il y a de la beauté, de la tendresse, et
puis au fil du temps, ces personnes se détestent, ne peuvent même plus se
regarder, et pourtant si au cœur de la dispute chacun se remémorait leur
premiers moments lorsqu’ils se sont rencontrés, tout de suite, cette
évocation effacerait la brouille présente. Et votre cœur redevient
gentil, compréhensif et pardonne, et il n’est même pas besoin de demander
pardon, cela vient automatiquement. Car le pardon superficiel de celui qui
gifle l’autre et lui demande pardon, mais recommence le même scénario le
lendemain, n’a aucun intérêt. Il faut pardonner sans parler, et
automatiquement c’est gagné.
Parlez nous un peu du bouddhisme...
C’est une religion pour les Tibétains, mais pour les occidentaux, ou plutôt
ceux qui ne connaissent pas le bouddhisme, c’est une philosophie. Dans les
religions occidentales, tout est créé. Si un objet existe, quelqu’un l’a créé.
Si quelqu’un meurt, automatiquement il ira (en général) au paradis, tout en
sachant qu’on ne peut pas arriver au niveau de Jésus ou de Dieu. Dans le
bouddhisme, dans chaque individu il y a deux graines : une graine du diable et
une graine de Dieu. C’est alors très facile à analyser. L’individu se lève tôt
le matin, il n’a rien pris, pas de médicament, par de gentillesse, ni de
méchanceté, il se lève il est tout gentil…vous pouvez dire n’importe quoi,
il pardonne, il est souriant.
Il prend la voiture, si quelqu’un lui refuse la priorité il est toujours
gentil. La journée passe très bien. Mais un autre jour il se lève, et c’est
tout le contraire. Il ne veut pas parler même si tout le monde est gentil avec
lui, il ne veut rencontrer personne et tout ce qu’il dit est méchant, car
pour lui s’il est ainsi c’est la faute de l’autre ! Ce jour la, c’est le côté
négatif qui est exprimé, alors que précédemment c’était le côté positif qui
était exprimé.
C’est une personne qui devient propre, de plus en plus blanchie, ou au
contraire de plus en plus noire, Pour le premier on a une personne qui pose des
actes réfléchis, qui chaque matin fait une prière en disant : « aujourd’hui je
serais gentil, je ne tue personne, je veux dire par là tout ce qui bouge je ne
le tue pas, je respecte la vie sous toutes ses formes. Donc il a fait une
promesse, et va essayer au maximum de s’en tenir à sa promesse. L’autre, il n’a
rien dans la tête, donc il n’a pas de valeur, et il va déraper, et un
jour il va dire le monde m’est tombé sur la tête. Quand vous avez un
problème physique ou moral, c’est une boule (on parle bien de boule sur
l’estomac non ?), si vous êtes triste c’est pareil. SI vous êtes battu,
diminué, vous le sentez de même. Alors que le bonheur c’est une sorte de grand
champ magnétique, qui part dans tous les sens. Alors si c’est une boule, on
peut la contrôler. A différents niveaux, à chacun son évolution, mais c’est
contrôlable. Prend un œuf. Si vous le placer juste devant votre œil, il devint
noir…et on ne voit plus rien. Il en est de même pour votre colère, votre
malheur, s’il est grand il prend le corps entier, vous êtes une boule de
malheur et vous dites : « je suis foutu ! » Mais si vous éloignez l’œuf,
vous le voyez et vous dites : « c’est un œuf de poule ! » C’est pareil avec le
problème, prenez une exemple : aujourd’hui vous recevez une lettre recommandée,
vous devinez qu’est ce que c’est. Si vous l’ouvrez tout de suite vous ramassez
tout le malheur, mais si vous dites : « ah ce n’est pas intéressant, je le
laisse ce soir ou demain je le regarderai, » et lorsque vous avez décidé de
vous attaquer à ce problème, vous êtes prêt ! Le lendemain, vous allez ouvrir
la lettre, et si vous voyez un problème, vous serez beaucoup plus calme, mais
excité vous l’ouvrez, vous êtes foutu. Vous allez téléphoner, réagir
violemment, écrire un courrier dans la réaction, en colère avec des mots
violents. Demain si vous regardez ce courrier que vous avez écrit vous allez
vous moquer de vous même. Pour chaque chose il faut prendre du temps. Dans le
cadre de mon activité, je pense très important qu’il faille être tolérant, ne
pas tricher, gentillesse. Quand un client vient chercher quelque chose, je me
mets tout de suite à sa place, comme si c’était moi qui venais acheter.
Alors je lui donne un maximum de sourires, un maximum d’accueil, et ceux qui
n’arrivent pas à parler, j’essaie de prononcer certaines paroles et ils
se détendent, le dialogue peut commencer. Car me mettant à sa place, çà change
tout.
Avez vous le sentiment que les Européens sont beaucoup trop dans
l’émotionnel ?
Emotionnel, même les Tibétains nous sommes émotionnels. La différence, je
pense, est que les Européens sont devenus « JE », c’est à dire égoïstes,
dans le sens que ce n’est pas l’individu qui est devenu égoïste, mais la
communauté, la société. Je pense à cette assistante sociale qui disait : «
essayez d’avoir la tête sur les épaules », mais la tête est toujours sur les
épaules…nous sommes nés ainsi. Mais qu’est ce que cela veut dire ? C’est la
définition de l’égoïsme. Par exemple une maman qui dit : « moi j’ai quatre
enfants et je m’occupe d’eux uniquement, je réponds vous ne pensez qu’à vos
quatre enfants et votre mari, vous ne vivez que pour eux, mais vous oubliez
vous même. Maintenant essayez de penser à vous, car autrement vous favoriser
l’égoïsme. Elle doit penser à son mari, à ses enfants, mais aussi à elle, au
sein d’une société, mais pas en tant qu’un groupe individuel. Mieux penser à
soi pour mieux penser aux autres. Et si on lui donne un conseil du style :
« si votre mari à la maison ne fait rien et reste assis, ne lui donnez
rien » Mais en faisant cela on crée un deuxième personnage égoïste, indifférent
(je ne te touche pas tu ne me touches pas), car si tu blesses l’autre tu te
blesses toi même.
Si tu blesses l’autre, cela veut dire que tu n’arrives pas à comprendre le
problème de l’autre, donc nous sommes évidemment dans l’émotionnel. En revanche
si l’on sait que tout le monde a le même niveau d’émotionnel, il est important
de savoir gérer son émotionnel. Moi je suis émotionnel aussi. Par exemple le
Dalaï Lama, lorsqu’une ou plusieurs personnes sont tués au Tibet, on le sent
tout de suite triste, mais pas ému, car tout de suite il se détache de
l’émotion. Il dit : « ce n’est pas grave, c’est fait, maintenant il faut
trouver une solution, au lieu de pleurer sur ces personnes. »
Donc il y a toujours une limite, vous sortez de chez moi, et vous trouvez votre
voiture avec une rayure par exemple ou l’aile défoncée. Vous allez dire,
réflexe classique, quel problème ; et ce faisant vous valorisez ce problème,
vous le prenez sur le cœur, et vous avez une énorme douleur. Mais on peut
réduire ce phénomène. Il suffit de se dire : « Oh ce n’est pas grave ! » et
tout est fini, plus de problème, plus de douleur.
Douleur de valeur n’existe plus. Vous êtes fier de dire, ce n’est pas grave.
Ainsi vous changez votre niveau de conscience, qui sera plus haut que celui qui
dira : « oh m….. Ma voiture est cassée, le sa…. Et tout plein d’injures, là
vous êtes foutu car vous nourrissez quelque chose de mauvais, et vous devenez
mauvais.
Et finalement c’est une façon d’être non violent (non violent envers soi même)
!
Exactement, non violent, cette non violence que vous n’avez pas besoin
d’apprendre car vous êtes né non violent. L’idée de la violence s’est
développée par « self défense », c’est un réflexe d’auto défense qui dans sa
forme exagérée est devenue violence. Quelqu’un qui ne peut s’exprimer deviendra
à un moment violent, parce qu’il n’arrive pas à sortir de sa souffrance face
aux problèmes, même petits, qu’il vit journellement.
Donc la violence est acquise, et non innée ?
Non personne ne nait avec la violence. Prenez l’exemple de petits enfants dont
les parents se disputent, ou divorcent, ces enfants peuvent facilement devenir
violents par imitation. 80% des enfants qui ont vu leurs parents se chamailler
vont reproduire ce phénomène une fois qu’ils seront adultes. Ce n’est pas un
héritage, c’est acquis car ils ont souffert et en même temps cette image de
couple qui se dispute, pour eux, est quelque chose de normal.
Alors une dernière question sur le bouddhisme, une grande différence entre
votre religion et les religions chrétiennes, est la réincarnation. Pour nous
c’est un mystère, et j’aimerai que vous nous expliquiez ceci.
La
réincarnation est quelque chose de compliqué. Réincarnation est la renaissance,
et tout le monde renaît. On meurt, notre corps est changé. C’est exactement
comme un acteur de théâtre, qui change tout le temps de rôle et de costume,
mais qui est toujours le même au fond. Ses paroles changent tout le temps, le
maquillage change tout le temps mais c’est toujours la même personne. Mais on
ne peut pas le reconnaître car le maquillage est différent. Avec les
humains c’est pareil. Aujourd’hui je suis né homme, demain peut être
quand je serais mort, les valeurs que je vais acquérir viendront de mon passé.
Il y a des gens qui disent : « il était tellement gentil, pourquoi Dieu l’a
rappelé à lui ? » Non, en fait Dieu l’a rappelé parce que dans une vie
antérieur, plus loin, il n’était pas si gentil que çà. Aujourd’hui sa
gentillesse était 1 gramme, par rapport à une tonne de bêtises et méchancetés
de vies antérieures. Donc il a souffert. Mais les gens du présent ne voient pas
cela et disent Dieu est injuste ! C’est faux. La réincarnation c’est par
exemple tous les grands Lamas qui sont connus, des personnes d’un niveau très
élevé, passent (on ne dit pas qu’ils meurent) ils décident de partir. Et
lorsque par exemple ils décèdent d’un accident, ils renaissent. Prenons
l’exemple d’une enfant sur- doué, c’est une image, un enfant surdoué cela
n’existe pas. C’est en fait la renaissance d’une personne qui avait un haut
pouvoir intellectuel et qui se réincarne, et pas forcément pour longtemps, car
peut être il aurait dû vivre 10 ou 20 années encore, et il a disparu par
accident. Donc il revient pour revivre ces 20 années, et pas plus. Cette
explication peut aider à supporter la perte d’une enfant par exemple. Car
cette personne devait compléter sa vie, mais pas vivre une vie entière, donc il
devait partir. Donc la réincarnation ce sont des gens qui sont à un
niveau supérieur au notre, des gens qui ont la sagesse, la pensée, la
connaissance, des valeurs, qui sont au dessus de l’humanité, et
quand ils renaissent dans une autre personne, on dit qu’ils sont réincarnés.
Mais là aussi il convient d’être très prudent car il y a des personnes
malhonnêtes qui abusent de la crédulité des gens pour leur faire croire
certaine choses au sujet de la réincarnation d’un être cher, ou d’une
personnalité par exemple. Les Chinois ont utilisé cette croyance qui est la
notre pour essayer de nous convaincre que un lama s’était réincarné chez un
enfant chinois. Mais là ou nous avons été logiques avec notre non
violence, c’est que le Dalaï Lama a accepté cette version pour éviter des
phénomènes de violence de la part des Chinois envers les Tibétains.
Même si c’est faux, il a dit OK ce qui a pour effet de calmer tous les esprits,
des deux côtés, sans faire de guerre. Ce qui veut dire que si le Dalaï
Lama disparaît, les chinois vont dire : « nous avons un Dalaï Lama », car il
nous faut un Dalaï Lama pour nous guider. Il faut savoir qu’avant le 7ème
siècle, les Tibétains n’avaient pas de Dalaï Lama, c’était alors un peuple de
guerriers. Sans le bouddhisme, les Tibétains sont des barbares…(rires).
Alors pour finir, vous ne connaissez pas la réincarnation, nous on la connaît
parce qu’il y a des études faites sur des enfants qui, nés dans une famille,
sont capable de réciter certaine choses et faire certains gestes qu’ils
n’auraient pas pu apprendre. Rappelez vous qu’en Europe, comme vous recherchez
la réussite personnelle, vous avez perdu certaines valeurs. Par exemple,
en France quand vous évoquez le mot « Gourou » vous pensez à un escroc. Pour
nous, un « guru » est un homme sacré et prestigieux, très haut placé. Le
mot est galvaudé en France. Et pourtant nous ne corrigeons pas cela, car pour
les bouddhistes, quelqu’un qui fait une bêtise n’est pas corrigé. Donc on
laisse la personne réaliser son erreur. Au Tibet on dit : « le beurre de Yack
n’existe pas ». Le Yack est un mâle, c’est la Dri qui donne le lait, la
femelle. Ceux qui ne veulent pas comprendre que le beurre de Yack n’existe pas,
qui est ce que çà gène ? Personne , peut être eux, et encore …Posons des
piments sur la table ; ceux qui aiment en mange, ceux qui n’aiment pas trouvent
que cela les pique, mais en fait que le piment soit posé sur la table ne gène
personne…
C’est comme les religions différentes, en quoi cela devrait gêner les gens ?
Pourquoi cela gênerait ? Vous êtes chrétien, ma femme est protestante, je
me suis marié à genoux dans le temple, mais je suis toujours Tibétain, et
bouddhiste, toujours. Je ne suis pas devenu fou, ma femme prie dans la bible,
moi je prie en tibétain. Et dans la maison il n’y a pas de diable qui dise ca
va pas, ca va pas. Tout va bien !
Donc il n’y a pas de différence.
C’est une fois de plus un grand exemple de non violence !
Tout a fait. Tout le monde a besoin de bonheur, personne n’a besoin de
malheur.
Justement, le poète Charles Dantzig a écrit que plus on cherche le bonheur,
moins on le trouve.
Ca c’est vrai, c’est tout à fait exact. Le bonheur c’est l’instant, on ne peut
pas le calculer à l’avance. Prenez le problème de la crise économique, les gens
sont tous crispés, car ils craignent qu’il n’y ait pas assez. Prenons l’exemple
d’un client qui entre dans le magasin, et qui dit çà c’est cher, çà aussi etc.
Il ressort sans acheter. Un euro c’est cher aussi. D’autres viennent et
ne posent pas de question. Ils se demandent ce dont ils ont besoin, ils
prennent, posent sur la table, et achètent. Cette personne vit heureuse, n’a
pas trop de soucis, l’autre, même riche à million, sera malheureuse toute sa
vie. J’ai une fois dit à une dame : « vous savez même marcher dans la rue c’est
cher, on paie des impôts pour faire les trottoirs ».
Enlevez le mot « cher » de votre tête et vous serez beaucoup plus heureux.
Arrêtez de vivre dans la négation. Nous les bouddhistes tibétains qui avons
vécu en Inde sous le Dalaï Lama, on développe une idée qui est par exemple que
si ma femme est angoissée, je lui dit : « écoutes, si tu t’angoisses, moi j’ai
une double angoisse : je ne suis pas dans mon pays, j’ai personne ici, et le
repas que je mange j’essaie de l’adapter à ma façon de manger
traditionnelle, mais ce n’est pas facile, et enfin j’essaie de vivre dans votre
culture, qui n’est pas la même. J’essaie d’adapter tout ce qui est possible.
Vous n’oubliez pas que quand vous déprimez vous êtes d’abord chez vous. Le
Français qui s’expatrie, a toujours le choix de rentrer. Nous, les Tibétains
qui avons quitté notre pays, on ne peut pas revenir. On parle alors de destin,
quand il y a un problème n’hésitons pas à employer le vocable : « ce n’est pas
grave » C’est un mot magique. Ce n’est pas une négation, c’est un médicament
immédiat pour guérir certaines choses, qu’on arrête d’un coup.
Les anciens (pas nous) parlaient du destin, FATUM, et disaient que si l’on
veut vivre en harmonie avec l’univers il faut avoir une foi inconditionnelle
dans le destin.
Pour nous c’est pareil, nous avons une confiance totale dans le destin,
dans le Dalaï Lama, en soi même, en disant aujourd’hui, si je pense trop
comme tout le monde je ne serais pas heureux, donc je dis aujourd’hui, je
m’occupe des problèmes du jour et je ne pense pas trop. J’ai un souci, je n’y
pense pas, je le néglige et le met de côté. Le jour où vraiment je dois m’en
occuper alors je m’y « colle ». Sinon ce n’est pas la peine de le trainer
derrière en disant par exemple je vais manquer d’argent, l’argent ne manquera
pas. Aujourd’hui vous allez acheter votre pain, vous le mangez, et demain est
un autre jour ! C’est en fait la vigilance. Il faut se gérer soi même, et ainsi
tout le monde sera heureux. Si chacun est responsable vis à vis de
l’autre, on regarde le bonheur de l’autre sans envie, au lieu de courir
derrière, par jalousie en fait. Et si une centaine d’individus pense aux
autres, ce sera un cercle qui ira s’agrandissant, car leurs enfants
penseront ainsi. Si par exemple vous êtes dans une association qui aide les
pauvres, très bien, très charitable, très chrétien, mais dès que vous sortez de
l’association, vous êtes de nouveau déprimé, car il vous est difficile de
supporter la pauvreté de l’autre.
Pour conclure, l’une des clés du bonheur est de se mettre à la place de
l’autre.
Exactement, c’est la meilleure des choses.
Bien à Pentecôte2009 nous aurons beaucoup de monde, plus de 1000 sans
doute. Alors Sanghee Tsering quel est le message que vous passez aux
anciens ?
Ce que je pense est que en ce qui concerne les anciens ce n’est pas la
quantité et le nombre qui est important, c’est qu’ils viennent avec leurs
valeurs morales, et qu’ils en parlent. Egalement qu’ils expliquent pour
certains comment il font pour vivre avec un minimum d’avoir. Sans télé, sans
confort, et est-ce ainsi possible de vivre heureux ? Et essayer de
traduire ce message à tous ces jeunes qui ont tout autour d’eux, je pense
qu’apporter une valeur morale par ces hommes pauvres ou riches, mais qui
parlent de leur vécu, et par des histoires très courtes apporter leurs
expériences. La jeunesse actuelle a rien du tout en tête, et ce n’est pas
de leur faute, c’est dans le système éducatif qu’il faut trouver les
responsables. Regardez les gens, ils ne parlent plus, ils se regardent de
travers, et s’ils parlent c’est de politique et cela c’est bidon, car cela ne
change rien. Il faut parler de choses vraies, la famille, la vie communale.
Certains programmes scolaires commencent à aborder ces sujets, cela va
doucement mais sûrement.
Est ce que vous viendrez nous voir à Pentecôte ?
Moi je pense que oui
Et êtes vous prêt à animer un atelier de réflexion sur le sujet de la non
violence à travers le bouddhisme ?
Il faut que je réfléchisse, mais je pense que c’est possible. Les gens posant
des questions et posent leur problème en discutant. C’est bien plus
facile, de parler de leurs problèmes de couple, de boulot, de santé, et
face à face le problème ainsi est devant nous et il est plus facile à aborder.
De toutes façon, la violence physique, orale, ou autre, n’a pas de place dans
ce monde. Et si l’on veut enlever les violences de chaque personne, il y a un
sacré boulot. Mais si on recule un peu dans l’histoire, une sorte de retour en
arrière, car si on continue ainsi, dans quelques temps ce sera une réelle
auto destruction. Regardez ce qui s’est passé avec Wall street et les milliards
perdus, milliards qui n’existaient pas, ce n’était que du virtuel, et le monde
est en crise pour du virtuel…Je suis sûr et certain que très vite le monde va
devenir de plus en plus paisible. Et la solution sera le mélange des races. Le
métissage, car c’est la seule solution qui va permettre aux gens de se
comprendre les uns les autres et vivre. Ce ne sont pas les religions quelle
qu’elles soient qui pourront y arriver. Prenez un métis, posez lui la question
du racisme, ce n’est pas un problème pour lui, il ne s’y intéresse pas, ce
n’est en fait pas un problème, puisqu’ils sont mélangés. Ils parleront en
revanche facilement de tolérance, car ils sont différents, leur cerveau est
différent. Je pense que c’est une nouvelle race qui peut faire qu’un jour le
monde sera sans guerre. C’est possible.
Comments
Monday 2 March 2009 | 19:15
Cher monsieur Sanghee Tsering, je tiens à beaucoup vous remercier pour votre interview! Peut-être aurais-je dû attendre , selon votre bon conseil demain pour vous envoyer ce message, mais je ne le fais pas car il m'apporte beaucoup de joie! Et félicitations pour votre maîtrise du Français!
Wednesday 4 March 2009 | 13:09
Un grand merci à sanghee Tsering.Son témoignage simple est lumineux et m'aide à comprendre mon cheminement.
Mes deux années au Collège dans les années 78/80 m'ont ouvert les yeux sur le monde, me permettant un regard plus spacieux, m'adaptant à la diversité culturelle qui etait trés vivante tant au niveau des professeurs que des élèves.Je n'ai pas souvenirs de grands discours ,la non violence ou pacifisme s'exprimait à travers la vie quotidienne du collège .J'y ai rencontré des êtres d'une tolerance exeptionnelle qui m'ont beaucoup aidé à voir la vie sous un autre angle,moi qui était une adolescente écorchée et rebelle .
Et cet apprentissage de la douceur n'a pas été récupéré par tel ou tel clocher religieux. Cela m'a donné du temps de l'espace pour rencontré le boudhisme bien plus tard .
Je vis actuellement en uruguay qui est le pays de mon mari . Apres plus de trente ans d'exil, je l'accompagne "por el returno". c'est une nouvelle vie beaucoup plus simple materiellement mais o combien pleine humainement.Je ne maitrise pas la langue ,ne connais pas la société latino qui est assez complexe et je me base sur la part blanche de l'être :Prendre le temps et faire confiance....Tout un programme qui colore ma vie de toutes les couleurs de l'arc en ciel !!!
Ces années d'apprentissage au college sont le terreau de mon education morale qui se poursuit encore et encore.
Puissent tous les êtres, connaitre le bonheur et les causes du bonheur !
anne vieu de Arteaga