Sanghee Tsering, a repris la boutique Monsieur Verron photographe, située entre les deux pâtisseries, sur la place du Chambon. En plus des travaux photos il propose à sa clientèle, de la mercerie, des produits tibétains. Tibétain ?
Oui 100%. Je suis venu comme réfugié. Je suis né au  Tibet en 1973. A l’âge de  deux mois, mes parents, c’est à dire ma mère, a traversé l’Himalaya et est arrivée en Inde, donc j’ai grandi en Inde, j’y aie fait mes études. J’ai un diplôme de pédagogie, licence de lettres, mais comme il n’y a pas  d’accord entre la France et l’Inde, mes diplômes ne valent rien ici. Il faut donc survivre. Quand on part d’un autre endroit, on est déjà un réfugié, et dans un  autre pays qu’on ne connaît pas : on ne connaît pas la langue, on ne connaît rien…On redémarra à zéro, cela veut dire qu’on accepte tout. La question est qu’est ce qu’on peut attraper. On ne parle plus de  cravates, de diplômes, d’étude, on laisse tout ça derrière, parce que dans la vie quand  on rentre dans un pays, il faut accepter les lois du pays, la culture du pays, les traditions du pays, on essaie alors d’entrer la dedans, mais bien sûr on ne peut pas digérer tout d’un coup.
Je suis arrivé en France en 1993, et je ne parlais pas un mot de français. A la suite de cela, j’ai fais un stage de menuiserie, à Lyon, 7 mois durant (je ne parlais toujours pas un mot de français), mais çà passait. Avec ce CAP, il fallait encore l’expérience, les contacts, savoir écrire, conduire, et je n’avais rien de tout çà. Alors je suis entré dans une  boite qui faisait de l’importation de produits esthétiques, et de musculation. J’y ai travaillé dix ans comme manutentionnaire. emballeur, livreur, et j’ai travaillé avec des intérimaires qui ne savaient même pas écrire quelque chose. Je ne me sentais pas diminué ; comme j’ai eu l’occasion en Inde d’enseigner, j’ai connu un certain niveau social, et il a bien fallu, une fois en France redescendre au niveau le plus bas ; je dois  dire que ce n’était pas gênant.
J’ai donc travaillé dix ans puis je suis arrivé au Chambon, où j’ai créé un vidéo club en 2001, puis ce local  qui était à vendre, je l’ai donc acheté, et finalement comme  la photo commençait à changer par rapport au numérique, j’ai  adapté mes activités, en me demandant ce qui pouvait marcher et remplir une petite échoppe, j’ai donc choisi la mercerie, l’artisanat tibétain, photos d’identité, encadrement. Et puis plus tard j’ai un nouveau projet. Tout ceci pour survivre autrement.

Quel parcours ! Vous êtes parti du Tibet, tout jeune. Le Dallai Lama, prône la non violence. Et vous ?

Parmi la jeunesse tibétaine certains voudraient l’indépendance totale du Tibet, peut-être avec une certaine violence. Toutes les violences  au niveau famille, au niveau communal, national et même international, ne valent pas la peine, elles se détruisent d’elles même. Donc il ne sert à rien d’avoir une attitude de violence envers quoi ou qui que ce soit. Du reste toute violence est condamnée à disparaître par épuisement.

C’est ce qui disait Gandhi.
Exactement. Et nous Tibétains, on continue la non violence, car envers le Dalaï Lama, notre foi est une « blind belief », on ne pose pas de question. On ne peut pas s’opposer au Dalaï Lama, car il a la sagesse, il  a la connaissance, le pouvoir, il est au dessus de nous.  Nous on peut  étudier des années durant, on ne pourra jamais atteindre son niveau. A quoi cela sert-il de contrarier quelqu’un qui est au plus haut niveau, ce qui veut dire que nous Tibétains, même si les Chinois nous « englobent » nous resterons toujours Tibétains, nous ne sommes pas le même peuple, ce sont deux peuples différents.

Le Dallai Lama, comme tous les prix Nobel de la paix, a fait partie des personnalités qui ont signé l’appel pour une décennie d’éducation des enfants à la non-violence. Le Collège Cévenol est membre de sa coordination française. Comment ressentez vous en tant qu’homme, être humain, réfugié également, la violence actuelle dans les écoles, les villes etc. La comprenez vous, l’expliquez vous ?
La violence que l’on voit partout à la télé, à tous les niveaux il y a une violence, la fraude aussi est une violence.  A la base, chaque personne, bouddhiste ou non bouddhiste, Tibétain ou non, est violent. On n’est pas conscient du mal qu’on fait à l’autre, qui créé une douleur unique qui rejoint une douleur d’ensemble. Personnellement je ne suis pas parfait, j’ai beaucoup de défauts. Mais j’essaie de me redresser moi même. Je m’explique : si je conduis sur la route enneigée, et qu’il y a des gens qui marchent sur la route, je ralentis afin que la personne puisse traverser si elle en a le désir. Mais il y a des gens qui passent vite, sans s’écarter de sorte que toute la neige est projetée sur la figure du passant… et cela le chauffeur de la voiture ne le voit pas, ou il ne veut pas le voir. C’est de la négligence. Donc toutes les violences  ont commencé à l’école. Ici, à l’école, il n’y a pas de leçons de morale. Chez nous, au moment de la naissance on dit : « les autres sont plus important que nous ! » Les autres ont plus de valeur que nous, que moi. Cette morale n’existe pas chez vous. Si on regarde la télé on retrouve la violence journalière. La religion n’aide pas forcément à la non violence. En fait la religion serait comme un savon, il permet de laver l’extérieur, faire un shampoing, mais pour se laver à l’intérieur, un savon ne convient pas. On  a besoin  de penser, imaginer, quelque chose qui contrôle l’humanité. Par exemple quand vous avez un geste gentil, vous,  vous dîtes  c’est normal. En réalité ce n’est pas tout à fait normal. Il convient de dire :  « je me mets à la place de l’autre, et si j’avais envie de faire quelque chose de mal à quelqu’un, en me mettant à sa place immédiatement, je peux comprendre ce qu’il ressentirait, et donc je ne le ferais pas. Pour reprendre l’exemple précédent : aujourd’hui j’ai un 4X4 ; quand on est dans un 4X4 on est haut perché, par rapport au passant. Puis le chauffeur du 4X4 pause sa voiture au garage, et il marche. Et quand soudain un autre conducteur lui gicle l’eau à la figure, il se sentira diminué et va râler et agresser verbalement l’autre. Mais  il ne se souvient pas qu’une fois lui était dans la voiture et a giclé l’eau à la figure d’une autre personne, il a fait la même chose mais pour lui c’était normal …
Il faut tout de suite face à l’autre se mettre dans sa position. Et vous allez  comprendre l’autre, vous allez devenir gentil, sans prendre des médicaments.

Finalement l’une des clés de la non violence, serait de se mettre à la place de l’autre.
Voilà, exactement à n’importe quel niveau. A l’école, au niveau des familles…par exemple pourquoi des couples divorcent et se séparent ? Parce que lors de leur rencontre, ils s’aiment, il y a de la beauté, de la tendresse, et puis au fil du temps,  ces personnes se détestent, ne peuvent même plus se regarder, et pourtant si au cœur de la dispute chacun se remémorait leur premiers moments lorsqu’ils se sont rencontrés,  tout de suite, cette évocation  effacerait la brouille présente.  Et votre cœur redevient gentil, compréhensif et pardonne, et il n’est même pas besoin de demander pardon, cela vient automatiquement. Car le pardon superficiel de celui qui gifle l’autre et lui demande pardon, mais recommence le même scénario le lendemain, n’a aucun intérêt.  Il faut pardonner sans parler, et automatiquement c’est gagné.

Parlez nous un peu du bouddhisme...
C’est une religion pour les Tibétains, mais pour les occidentaux, ou plutôt ceux qui ne connaissent pas le bouddhisme, c’est une philosophie. Dans les religions occidentales, tout est créé. Si un objet existe, quelqu’un l’a créé. Si quelqu’un meurt, automatiquement il ira (en général) au paradis, tout en sachant qu’on  ne peut pas arriver au niveau de Jésus ou de Dieu. Dans le bouddhisme, dans chaque individu il y a deux graines : une graine du diable et une graine de Dieu. C’est alors très facile à analyser. L’individu se lève tôt le matin, il n’a rien pris, pas de médicament, par de gentillesse, ni de méchanceté, il se lève il est tout gentil…vous pouvez dire n’importe quoi, il  pardonne, il est souriant.
Il prend la voiture, si quelqu’un lui refuse la priorité il est toujours gentil. La journée passe très bien. Mais un autre jour il se lève, et c’est tout le contraire. Il ne veut pas parler même si tout le monde est gentil avec lui, il ne veut  rencontrer personne et tout ce qu’il dit est méchant, car pour lui s’il est ainsi c’est la faute de l’autre ! Ce jour la, c’est le côté négatif qui est exprimé, alors que précédemment c’était le côté positif qui était exprimé.
C’est une personne qui devient propre, de plus en plus blanchie, ou au contraire de plus en plus noire, Pour le premier on a une personne qui pose des actes réfléchis, qui chaque matin fait une prière en disant : « aujourd’hui je serais gentil, je ne tue personne, je veux dire par là tout ce qui bouge je ne le tue pas, je respecte la vie sous toutes ses formes. Donc il a fait une promesse, et va essayer au maximum de s’en tenir à sa promesse. L’autre, il n’a rien dans la tête, donc il n’a pas de valeur, et il va déraper, et un  jour il va dire le monde m’est tombé sur  la tête. Quand vous avez un problème physique ou moral, c’est une boule (on parle bien de boule sur l’estomac non ?), si vous êtes triste c’est pareil. SI vous êtes battu, diminué, vous le sentez de même. Alors que le bonheur c’est une sorte de grand champ magnétique, qui part dans tous les sens. Alors si c’est une boule, on peut la contrôler. A différents niveaux, à chacun son évolution, mais c’est contrôlable. Prend un œuf. Si vous le placer juste devant votre œil, il devint noir…et on ne voit plus rien. Il en est de même pour votre colère, votre malheur, s’il est grand il prend le corps entier, vous êtes une boule de malheur et vous dites : «  je suis foutu ! » Mais si vous éloignez l’œuf, vous le voyez et vous dites : « c’est un œuf de poule ! » C’est pareil avec le problème, prenez une exemple : aujourd’hui vous recevez une lettre recommandée, vous devinez qu’est ce que c’est. Si vous l’ouvrez tout de suite vous ramassez tout le malheur, mais si vous dites : « ah ce n’est pas intéressant, je le laisse ce soir ou demain je le regarderai, » et lorsque vous avez décidé de vous attaquer à ce problème, vous êtes prêt ! Le lendemain, vous allez ouvrir la lettre, et si vous voyez un problème, vous serez beaucoup plus calme, mais excité vous l’ouvrez, vous êtes foutu. Vous allez téléphoner, réagir violemment, écrire un courrier dans la réaction, en colère avec des mots violents. Demain si vous regardez ce courrier que vous avez écrit vous allez vous moquer de vous même. Pour chaque chose il faut prendre du temps. Dans le cadre de mon activité, je pense très important qu’il faille être tolérant, ne pas tricher, gentillesse. Quand un client vient chercher quelque chose, je me mets tout de suite à sa place, comme si c’était moi qui venais acheter.
Alors je lui donne un maximum de sourires, un maximum d’accueil, et ceux qui n’arrivent pas à parler, j’essaie  de prononcer certaines paroles et ils se détendent, le dialogue peut commencer. Car me mettant à sa place, çà change tout.

Avez vous le sentiment que les Européens sont beaucoup trop dans l’émotionnel ?
Emotionnel, même les Tibétains nous sommes émotionnels. La différence, je pense, est que les Européens sont devenus  « JE », c’est à dire égoïstes, dans le sens que ce n’est pas l’individu qui est devenu égoïste, mais la communauté, la société. Je pense à cette assistante sociale qui disait : « essayez d’avoir la tête sur les épaules », mais la tête est toujours sur les épaules…nous sommes nés ainsi. Mais qu’est ce que cela veut dire ? C’est la définition de l’égoïsme. Par exemple une maman qui dit : « moi j’ai quatre enfants et je m’occupe d’eux uniquement, je réponds vous ne pensez qu’à vos quatre enfants et votre mari, vous ne vivez que pour eux, mais vous oubliez vous même. Maintenant essayez de penser à vous, car autrement vous favoriser l’égoïsme. Elle doit penser à son mari, à ses enfants, mais aussi à elle, au sein d’une société, mais pas en tant qu’un groupe individuel. Mieux penser à soi pour mieux penser aux autres. Et si on lui donne un conseil du style : «  si votre mari à la maison ne fait rien et reste assis, ne lui donnez rien » Mais en faisant cela on crée un deuxième personnage égoïste, indifférent (je ne te touche pas tu ne me touches pas), car si tu blesses l’autre tu te blesses toi même.
Si tu blesses l’autre, cela veut dire que tu n’arrives pas à comprendre le problème de l’autre, donc nous sommes évidemment dans l’émotionnel. En revanche si l’on sait que tout le monde a le même niveau d’émotionnel, il est important de savoir gérer son émotionnel. Moi je suis émotionnel aussi. Par exemple le Dalaï Lama, lorsqu’une ou plusieurs personnes sont tués au Tibet, on le sent tout de suite triste, mais pas  ému, car tout de suite il se détache de l’émotion. Il dit : «  ce n’est pas grave, c’est fait, maintenant il faut trouver une solution, au lieu de pleurer sur ces personnes. »
Donc il y a toujours une limite, vous sortez de chez moi, et vous trouvez votre voiture avec une rayure par exemple ou l’aile défoncée. Vous allez dire, réflexe classique, quel problème ; et ce faisant vous valorisez ce problème, vous le prenez sur le cœur, et vous avez une énorme douleur. Mais on peut réduire ce phénomène. Il suffit de se dire : « Oh ce n’est pas grave ! » et tout est fini, plus de problème, plus de douleur.
Douleur de valeur n’existe plus. Vous êtes fier de dire, ce n’est pas grave. Ainsi vous changez votre niveau de conscience, qui sera plus haut que celui qui dira : « oh m….. Ma voiture est cassée, le sa…. Et tout plein d’injures, là vous êtes foutu car vous nourrissez quelque chose de mauvais, et vous devenez mauvais.
Et finalement c’est une façon d’être non violent (non violent envers soi même) !
Exactement, non violent, cette non violence que vous n’avez pas besoin d’apprendre car vous êtes né non violent. L’idée de la violence s’est développée par « self défense », c’est un réflexe d’auto défense qui dans sa forme exagérée est devenue violence. Quelqu’un qui ne peut s’exprimer deviendra à un moment violent, parce qu’il n’arrive pas à sortir de sa souffrance face aux problèmes, même petits, qu’il vit journellement.

Donc la  violence est acquise, et non innée ?
Non personne ne nait avec la violence. Prenez l’exemple de petits enfants dont les parents se disputent, ou divorcent, ces enfants peuvent facilement devenir violents par imitation. 80% des enfants qui ont vu leurs parents se chamailler vont reproduire ce phénomène une fois qu’ils seront adultes. Ce n’est pas un héritage, c’est acquis car ils ont souffert et en même temps cette image de couple qui se dispute, pour eux,  est quelque chose de normal.

Alors une dernière question sur le bouddhisme, une grande différence entre votre religion et les religions chrétiennes, est la réincarnation. Pour nous c’est un mystère, et j’aimerai que vous nous expliquiez ceci.
La réincarnation est quelque chose de compliqué. Réincarnation est la renaissance, et tout le monde renaît. On meurt, notre corps est changé. C’est exactement comme un acteur de théâtre, qui change tout le temps de rôle et de costume, mais qui est toujours le même au fond. Ses paroles changent tout le temps, le maquillage change tout le temps mais c’est toujours la même personne. Mais on ne peut pas le reconnaître car le maquillage est différent. Avec les humains  c’est pareil. Aujourd’hui je suis né homme, demain peut être quand je serais mort, les valeurs que je vais acquérir viendront de mon passé. Il y a des gens qui disent : « il était tellement gentil, pourquoi Dieu l’a rappelé à lui ? » Non, en fait Dieu l’a rappelé parce que dans une vie antérieur, plus loin, il n’était pas si gentil que çà. Aujourd’hui sa gentillesse était 1 gramme, par rapport à une tonne de bêtises et méchancetés de vies antérieures. Donc il a souffert. Mais les gens du présent ne voient pas cela et disent Dieu est injuste ! C’est faux. La réincarnation c’est par exemple tous les grands Lamas qui sont connus, des personnes d’un niveau très élevé, passent (on ne dit pas qu’ils meurent) ils décident de partir. Et lorsque par exemple ils décèdent d’un accident, ils renaissent. Prenons l’exemple d’une enfant sur- doué, c’est une image, un enfant surdoué cela n’existe pas. C’est en fait la renaissance d’une personne qui avait un haut pouvoir intellectuel et qui se réincarne, et pas forcément pour longtemps, car peut être il aurait dû vivre 10 ou 20 années encore, et il a disparu par accident. Donc il revient pour revivre ces 20 années, et pas plus. Cette explication peut aider  à supporter la perte d’une enfant par exemple. Car cette personne devait compléter sa vie, mais pas vivre une vie entière, donc il devait partir. Donc la réincarnation  ce sont des gens qui sont à un niveau supérieur au notre, des gens qui ont la sagesse, la pensée, la connaissance,  des valeurs, qui sont au dessus de l’humanité,  et quand ils renaissent dans une autre personne, on dit qu’ils sont réincarnés. Mais là aussi il convient d’être très prudent car il y a des personnes malhonnêtes qui abusent de la crédulité des gens pour  leur faire croire certaine choses au sujet de la réincarnation d’un être cher, ou d’une personnalité par exemple. Les Chinois ont utilisé cette croyance qui est la notre pour essayer de nous convaincre que un lama s’était réincarné chez un enfant chinois.  Mais là ou nous avons été logiques avec notre non violence, c’est que le Dalaï Lama a accepté cette version pour éviter des phénomènes de violence de la part des Chinois envers les Tibétains.
Même si c’est faux, il a dit OK ce qui a pour effet de calmer tous les esprits, des deux côtés, sans faire de guerre.  Ce qui veut dire que si le Dalaï Lama disparaît, les chinois vont dire : « nous avons un Dalaï Lama », car il nous faut un Dalaï Lama pour nous guider. Il faut savoir qu’avant le 7ème siècle, les Tibétains n’avaient pas de Dalaï Lama, c’était alors un peuple de guerriers. Sans le bouddhisme, les Tibétains sont des barbares…(rires).
Alors pour finir, vous ne connaissez pas la réincarnation, nous on la connaît parce qu’il y a des études faites sur des enfants qui, nés dans une famille, sont capable de réciter certaine choses et faire certains gestes qu’ils n’auraient pas pu apprendre. Rappelez vous qu’en Europe, comme vous recherchez la réussite personnelle, vous avez perdu certaines valeurs.  Par exemple, en France quand vous évoquez le mot « Gourou » vous pensez à un escroc. Pour nous, un «  guru » est un homme sacré et prestigieux, très haut placé. Le mot est galvaudé en France. Et pourtant nous ne corrigeons pas cela, car pour les bouddhistes, quelqu’un qui fait une bêtise  n’est pas corrigé. Donc on laisse la personne réaliser son erreur. Au Tibet on dit : « le beurre de Yack n’existe pas ». Le Yack est un mâle, c’est la Dri qui donne le lait, la femelle. Ceux qui ne veulent pas comprendre que le beurre de Yack n’existe pas, qui est ce que çà gène ? Personne , peut être eux, et encore …Posons des piments sur la table ; ceux qui aiment en mange, ceux qui n’aiment pas trouvent que cela les pique, mais en fait que le piment soit posé sur la table ne gène personne…
C’est comme les religions différentes, en quoi cela devrait gêner les gens ? Pourquoi cela gênerait ?  Vous êtes chrétien, ma femme est protestante, je me suis marié à genoux dans le temple, mais je suis toujours Tibétain, et bouddhiste, toujours. Je ne suis pas devenu fou, ma femme prie dans la bible, moi je prie en tibétain. Et dans la maison il n’y a pas de diable qui dise ca va pas,  ca va pas. Tout va bien !
Donc il n’y a pas de différence.

C’est une fois de plus un grand exemple de non violence !
Tout a fait. Tout le monde a besoin de bonheur, personne n’a besoin de malheur.

Justement, le poète Charles Dantzig a écrit que plus on cherche le bonheur, moins on le trouve.
Ca c’est vrai, c’est tout à fait exact. Le bonheur c’est l’instant, on ne peut pas le calculer à l’avance. Prenez le problème de la crise économique, les gens sont tous crispés, car ils craignent qu’il n’y ait pas assez. Prenons l’exemple d’un client qui entre dans le magasin, et qui dit çà c’est cher, çà aussi etc. Il ressort sans acheter. Un euro c’est cher aussi.  D’autres viennent et ne posent pas de question. Ils se demandent  ce dont ils ont besoin, ils prennent, posent sur la table, et achètent. Cette personne vit heureuse, n’a pas trop de soucis, l’autre, même riche à million, sera malheureuse toute sa vie. J’ai une fois dit à une dame : « vous savez même marcher dans la rue c’est cher, on paie des impôts pour faire les trottoirs ».
Enlevez le mot « cher » de votre tête et vous serez beaucoup plus heureux. Arrêtez de vivre dans la négation. Nous les bouddhistes tibétains qui avons vécu en Inde sous le Dalaï Lama, on développe une idée qui est par exemple que si ma femme est angoissée, je lui dit : « écoutes, si tu t’angoisses, moi j’ai une double angoisse : je ne suis pas dans mon pays, j’ai personne ici, et le repas  que je mange j’essaie de l’adapter à ma façon de manger traditionnelle, mais ce n’est pas facile, et enfin j’essaie de vivre dans votre culture, qui n’est pas la même. J’essaie d’adapter tout ce qui est possible. Vous n’oubliez pas que quand vous déprimez vous êtes d’abord chez vous. Le Français qui s’expatrie, a toujours le choix de rentrer. Nous, les Tibétains qui avons quitté notre pays, on ne peut pas revenir. On parle alors de destin, quand il y a un problème n’hésitons pas à employer le vocable : « ce n’est pas grave » C’est un mot magique. Ce n’est pas une négation, c’est un médicament immédiat pour guérir certaines choses, qu’on arrête d’un coup.

Les anciens (pas nous) parlaient du destin, FATUM, et disaient que si l’on veut vivre en harmonie avec l’univers il faut avoir une foi inconditionnelle dans le destin.
Pour nous c’est pareil, nous avons une confiance totale dans le destin,  dans le Dalaï Lama, en soi même, en disant aujourd’hui, si je pense trop  comme tout le monde je ne serais pas heureux, donc je dis aujourd’hui, je m’occupe des problèmes du jour et je ne pense pas trop. J’ai un souci, je n’y pense pas, je le néglige et le met de côté. Le jour où vraiment je dois m’en occuper alors je m’y « colle ». Sinon  ce n’est pas la peine de le trainer derrière en disant par exemple je vais manquer d’argent, l’argent ne manquera pas. Aujourd’hui vous allez acheter votre pain, vous le mangez, et demain est un autre jour ! C’est en fait la vigilance. Il faut se gérer soi même, et ainsi tout le monde sera heureux. Si chacun est responsable  vis à vis de l’autre, on regarde le bonheur de l’autre sans envie, au lieu de courir derrière, par jalousie en fait. Et si une centaine d’individus pense aux autres,  ce sera un cercle qui ira s’agrandissant, car leurs enfants penseront ainsi. Si par exemple vous êtes dans une association qui aide les pauvres, très bien, très charitable, très chrétien, mais dès que vous sortez de l’association, vous êtes de nouveau déprimé, car il vous est difficile de supporter la pauvreté de l’autre.

Pour conclure, l’une des clés du bonheur est de se mettre à la place de l’autre.
Exactement, c’est la meilleure des choses.

Bien à Pentecôte2009 nous aurons beaucoup de monde, plus de 1000 sans doute. Alors  Sanghee Tsering quel est le message que vous passez aux anciens ?
Ce que je pense est que en ce qui concerne les anciens  ce n’est pas la quantité et le nombre qui est important, c’est qu’ils viennent avec leurs valeurs morales, et qu’ils en parlent. Egalement qu’ils expliquent pour certains comment il font pour vivre avec un minimum d’avoir. Sans télé, sans confort, et est-ce ainsi possible de vivre heureux ? Et essayer de traduire  ce message à tous ces jeunes qui ont tout autour d’eux, je pense qu’apporter une valeur  morale par ces hommes pauvres ou riches, mais qui parlent de leur vécu, et par des histoires très courtes apporter leurs expériences. La jeunesse  actuelle a rien du tout en tête, et ce n’est pas de leur faute, c’est dans le système éducatif qu’il faut trouver les responsables. Regardez les gens, ils ne parlent plus, ils se regardent de travers, et s’ils parlent c’est de politique et cela c’est bidon, car cela ne change rien. Il faut parler de choses vraies, la famille, la vie communale. Certains programmes scolaires commencent à aborder ces sujets, cela va doucement mais sûrement.

Est ce que vous viendrez nous voir à Pentecôte ?
Moi je pense que oui

Et êtes vous prêt à animer un atelier de réflexion sur le sujet de la non violence à travers le bouddhisme ?
Il faut que je réfléchisse, mais je pense que c’est possible. Les gens posant des questions  et posent leur problème en discutant. C’est bien plus facile, de parler  de leurs problèmes de couple, de boulot, de santé, et face à face le problème ainsi est devant nous et il est plus facile à aborder. De toutes façon, la violence physique, orale, ou autre, n’a pas de place dans ce monde. Et si l’on veut enlever les violences de chaque personne, il y a un sacré boulot. Mais si on recule un peu dans l’histoire, une sorte de retour en arrière,  car si on continue ainsi, dans quelques temps ce sera une réelle auto destruction. Regardez ce qui s’est passé avec Wall street et les milliards perdus, milliards qui n’existaient pas, ce n’était que du virtuel, et le monde est en crise pour du virtuel…Je suis sûr et certain que très vite le monde va devenir de plus en plus paisible. Et la solution sera le mélange des races. Le métissage, car c’est la seule solution qui va permettre aux gens de se comprendre les uns les autres et vivre. Ce ne sont pas les religions quelle qu’elles soient qui pourront y arriver. Prenez un métis, posez lui la question du racisme, ce n’est pas un problème pour lui, il ne s’y intéresse pas, ce n’est en fait pas un problème, puisqu’ils sont mélangés.  Ils parleront en revanche facilement de tolérance, car ils sont différents, leur cerveau est différent. Je pense que c’est une nouvelle race qui peut faire qu’un jour le monde sera sans guerre. C’est possible.

Propos recueillis par Sam Debard